Lawrence Durell – L’Île de Prospero
15 janvier 1938
« C’est là que je rencontre parfois Mathieu,le boiteux qui pêche à la dynamite;ces opérations illégales lui ont déjà coûté un œil et deux doigts de la main droite.Je l’aide à repêcher ses poissons qui pour une mystérieuse raison,s’enfoncent au lieu de flotter à la surface.Nous l’avons souvent vu faire griller le pêche sur des feux de sarments,le soir,avec l’air absorbé d’un spécialiste.Zarian,à côté de lui,tenait le sel et le Comte une fiole de jus de citron.
Matieu opère de préférence l’après-midicar alors le bruit des détonations n’est pas assez puissantpour tirer de leur sommeil les gendarmes qui font la sieste dans le petit poste en haut de la colline.C’est un merveilleux compagnon car il ne parle jamais.Vêtu d’un pantalon rapiécé et d’un chandail de laine,il se déplace lentement le long des rochers qui surplombent la mer,ses noirs orteils préhensiles(enflés et déformés par l’eau de mer) s’agrippant aux moindres saillies.Il tient dans sa main droite la grenade sous marine qu’il a confectionnée avec une bote de cigarettes et une courte mèche.Je le suis à distance prudente,car il ne faut jamais négliger les défectuosités possibles de ce genre d’engins.
Vers trois heures il escalade la falaise au dessus de la baie,là où se trouve le monastère éblouissant de soleil,et il s’endort à l’ombre du portail à côté de sa pêche entassée dans son vieux chapeau de feutre sur l’herbe. »

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